Depuis mes premiers ébats, je ressens une espèce de malaise diffus à l’égard de la sexualité. Pas à l’égard de la mienne, tout va bien – merci. Mais à l’égard de celle qui m’est proposée par mes congénères mâââles. Quelque chose m’a toujours gênée, sans que je ne parvienne à mettre le doigt sur l’origine du problème ou à verbaliser clairement mon ressenti.
Et puis petit à petit, en discutant avec mes amies féministes et en lisant quelques écrits sur le sujet, tout s’est éclairé. J’ai enfin compris que la domination masculine s’était insinuée jusque sous ma couette, sans que je ne m’en sois aperçue, et que la sexualité masculine pensée par et pour les hommes n’était tout simplement pas la mienne. Par sexualité masculine j’entends :
-Une sexualité centrée autour des rapports phallo-vaginaux. La pénétration est centrale, et tout le reste est périphérique, pour ne pas dire anecdotique. Qualifier ce qui ne relève pas de la pénétration de préliminaires est en ce sens extrêmement parlant, car cela sous-entend par opposition que la pénétration est bien le but ultime du rapport sexuel, le graal. Pourtant, il est difficile pour une femme de parvenir à l'orgasme via la pénétration simple.
-Une sexualité centrée autour des désirs et fantasmes masculins. L’industrie du porno, qui s’adresse aux hommes, est ainsi riche d’enseignements. On y voit des femmes réduites au rang d’objets se faire pilonner et bifler, dans la joie et la bonne humeur. Du moins, c’est l’idée.
-Une sexualité centrée autour du pénis, the one & only. Ces messieurs ne semblent pas se demander grand chose d’autre à part « Où est-ce-que je vais bien pouvoir le mettre ? ». D’où les sempiternelles questions – que celles qui ne les ont jamais entendues me jettent le premier canard vibrant : « Tu suces ? » et « Tu pratiques la sodomie ? ».
Or, je ne suis pas un simple objet de désir, je suis avant tout sujet de mon plaisir. Je ne suis pas juste là pour faire jolie et être désirable, je suis désirante. J'ai mes envies, mes fantasmes, mes limites.
Croyez-moi, cet article aux allures de règlement de compte n’en est pas un. Je n’ai rien contre vos pénis, messieurs, vous pouvez dormir sur vos deux oreillers. Mais j’ai quelque chose contre l’utilisation que vous en faites, et contre cette violence à ce point répandue et systémique qu’elle en deviendrait presque normale. Tant pour l’oppresseur que pour l’opprimé. La preuve en est : il m’a fallu 8 ans pour réaliser que j’ai moi-même été victime de viol. Mon pote C. m’a dit hier « Mais tu sais, ça n’est pas étonnant, dans l’imaginaire collectif on se représente le violeur comme un monstre qui va te sauter dessus au détour d’une impasse sombre, alors que bien souvent, le viol est perpétré dans l’intimité du lit conjugal, par un mec lambda. » Il est vrai que je n’ai pas réalisé la gravité de la chose quand mon conjoint m’a pénétrée en pleine nuit dans mon sommeil[1], pour ensuite me dire « Désolé, j’avais trop envie, tu étais super excitante ce soir. » Malaise diffus. Viol(ence) ordinaire. Partout. Tout le temps. Dans le porno, dans la culture populaire (films et séries TV), dans la vie de tous les jours. Les étreintes sont a minima bestiales a maxima imposées, mais ça n’est pas violent, naaaan, c’est torride, nuance. Combien de femmes en lisant ces lignes se diront : « Ah mais alors, moi aussi ??! ». Eh ouais meuf, toi aussi.
Viol conjugal - "Si rien ne vous choque, c'est que vous êtes l'un des deux"
Le drame de ma vie est d’être hétéro. J’aime les hommes, ils me plaisent, ils m’attirent, depuis toujours. Cela me semble naturel. Quoique… Difficile de savoir à quel point mon orientation sexuelle est naturelle dans une société qui glorifie le couple hétéro et tout ce qui va avec (enfants/maison/crédit/break/labrador). Que cette attirance soit innée ou acquise, elle est en tout cas fort dommageable, car je serais certainement une lesbienne parfaitement épanouie à l’heure qu’il est. Et les témoignages ravis de copines qui sont passées de l’autre côté de la barrière ne font que me conforter dans cette idée. Je m’interroge donc, et finirai peut-être par devenir une lesbienne construite sur les décombres d’une hétérosexualité malheureuse. Je suis déjà à l’intersection de tellement de minorités (autistevégétariennetatouée etcetc), je ne suis plus à ça près.
Si j’écris cet article, c’est parce qu’il me semble essentiel de faire la lumière sur ces violences sexuelles ordinaires, qui nous concernent toutes, a fortiori encore plus en tant qu’autistes. Cela fait de nous des proies idéales, parce que nous sommes naïves, bien souvent isolées et sans ressources, avec une estime de soi inexistante et un sens social ô combien défaillant. J’aimerais que les jeunes aspies soient mieux armées pour affronter le monde qui les entoure, et si mon témoignage peut les y aider, tant mieux.
Et puis c’est dans ma nature d’ouvrir ma grande gueule et de bousculer l’ordre établi, semble-t-il.
Quant à ces messieurs, s'ils pouvaient être amenés à se questionner sur leur vision de la sexualité, nous aurions tout gagné. J'y crois.
Nota : Les hommes ayant envie de commenter à coups de complaintes larmoyantes ou de « mais ça serait trop dommage que tu deviennes lesbienne blablabla » sont priés de s’abstenir.
Nota 2 : Je ne souhaite pas dans cet article nier les victimes masculines (ou toutes autres victimes invisibilisées - dont trans) et les assimiler par défaut à leurs agresseurs. On me l'a fait remarquer suite à la publication de l'article, et c'est tout à fait vrai.
[1] « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise, est un viol. » Article 222.23 du Code pénal.
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Le clitoris, cet inconnu
Et la formidable Solange nous parle du pénis : écoutez-la!