Covid jour 4. J'ai mangé des Snickers devant la dernière saison de Keeping up with the Kardashians. Mes éternuements force 9 ont provoqué une descente d'organes. Rien de trop grave, ceci dit, il paraît qu'on peut vivre tout à fait normalement avec les sinus encastrés dans le cervelet.
Entre deux comas, j'ai essayé de mettre de l'ordre dans mes idées pour vous parler de mon expérience de la radicalité.
Militantisme radical, entre extrémisme et survie
J'ai un mode de fonctionnement en noir et blanc, les zones de gris n'existent (n'existaient) pas dans ma perception du monde. C'est bien ou c'est mal, tu es sympa ou tu es toxique, c'est vrai ou c'est faux. Une personne, un concept ou un courant de pensée peut bien sûr basculer d'une catégorie à une autre. Par exemple, un amoureux qui fait de la merde, il passe de « tu es sympa » à « tu es toxique » et va se voir éconduire en deux secondes. Autre exemple : alors que j'ai été très séduite par les écrits féministes de la chercheuse Christine Delphy, lorsque j'ai découvert ses propos transphobes, je n'ai plus voulu lire aucune de ses productions.
En gros, soit tu es dans ma vie, soit tu n'y es pas.
Je crois que la plongée dans le militantisme radical a consolidé en moi ma tendance à être « shades blind » (oui, j'invente une expression, et en anglais qui plus est !). Attention, je ne dis pas que la radicalité doit être condamnée dans le cadre des luttes sociales. Elle est nécessaire pour se faire entendre et pour obtenir des résultats : on ne parviendra pas à mettre un terme aux féminicides en demandant poliment ; la disparition des pailles en plastique ne permettra pas de venir à bout du changement climatique. Ne nous y méprenons pas : si la radicalité est critiquée, c'est parce que les protestations molles et le statu quo arrangent bien les dominants. (d'ailleurs, on reproche souvent aux militant.e.s d'être "trop énervé.e.s", cette tactique conversationnelle anti-débat s'appelle le tone policing : dénigrer la forme pour ne pas avoir à adresser le fond du message).
La radicalité est donc nécessaire dans le militantisme, mais m'a porté préjudice dans ma vie personnelle et j'ai désormais du mal à la voir autrement que comme un gros défaut dont il était temps que je prenne conscience.
La pose de limites, un exercice périlleux
Un autre élément a renforcé ce mode de fonctionnement : l'apprentissage des limites. J'ai des difficultés à poser des limites, je me suis fait marcher sur les pieds à de nombreuses reprises, dans tous les domaines de ma vie. Aller dans le sens des autres et m'adapter à eux est une stratégie de survie que j'ai mise en place pour éviter des conflits et essayer tant bien que mal de me faire accepter. Résultat des courses : je m'oubliais et me diluais dans mes relations. C’est particulièrement vrai dans mes relations amoureuses, parce que le care et l'oubli de soi est bien ce que l'on attend des femmes dans les relations hétéros ! D'ailleurs, si le sujet du sexisme dans les relations hétéros vous intéresse, je vous recommande l'excellent podcast "Le coeur sur la table" (lien en bas de l'article).
J'ai dû faire un énorme travail sur moi pour reprendre confiance, déterminer quelles étaient mes limites et savoir les affirmer : ce travail n'est pas fini. Le problème, c'est que j'ai la sensation d'être passée d'un extrême à l'autre : d'une béni-oui-oui qui ne veut pas faire de vagues à une personne intransigeante qui ne laisse aucune seconde chance.
Je crois que, dans ma vie perso, ma radicalité m'a rendue intolérante, condescendante, et m'a isolée. Cet amoureux-là qui a merdé, il avait le droit à l'erreur. Si les propos transphobes de Christine Delphy doivent être dénoncés, il n'empêche que l'intégralité de sa production intellectuelle n'est pour autant pas à jeter à la poubelle et je me dis aujourd'hui que j'ai eu tort de me priver de ses écrits.
J'en suis là de ma réflexion.
Les raisins secs de la colère, un renouveau de souplesse dans la révolte
Ces derniers mois, j'essaye de retrouver de la souplesse dans mes relations. Il n'y a pas si longtemps, les personnes qui n'avaient pas les mêmes opinions politiques que moi, ou qui n'étaient pas sensibilisées aux luttes féministes, antiracistes, etc., je les tenais très éloignées. Pour être tout à fait honnête, je dirais même qu'une partie de moi les méprisait (comme si j'étais moi-même irréprochable, aahahha laissez-moi en rire et descendre de mon piédestal).
J'étais bien lancée pour devenir une petite mamie qui passe sa journée à regarder derrière sa fenêtre en insultant mentalement tous les gens qu'elle voit dans la rue, aigrie, et le cœur sec. Je n'ai pas du tout envie de devenir cette petite mamie aigrie au cœur sec.
Réinjecter de la souplesse, du respect, de l'amour, tout simplement, c'est en train de faire une grosse différence dans ma vie. Je me sens plus apaisée, plus heureuse aussi. Être portée par un sentiment de révolte et par la conviction d'être « dans le vrai », ça aura été un formidable moteur mais ça m'aura aussi consumée tout en faisant de moi une humaine un peu bof. Je m'exerce donc à voir toutes les nuances de gris*, et ça me fait un bien fou.
Est-ce que vous aussi vous êtes aveugle aux nuances? Est-ce que vous avez vécu un cheminement similaire ? Je serais très curieuse de vous lire dans les commentaires !
Sur ce, je vous laisse, j'ai de la fièvre et Uber-strip me fait savoir que l'arrivée du médecin est imminente.
Liens :
* non il n'y a aucun sous-entendu littéraire