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20 juin 2022 1 20 /06 /juin /2022 12:19

Celles et ceux qui me suivent depuis longtemps auront ​​- je pense - compris que je suis un bourreau de travail. J’ai une façon de travailler atypique, à l’image de mon mode de fonctionnement : je suis capable de produire beaucoup en peu de temps, en bossant non-stop 6 voire 7 jours sur 7, et pendant d’autres périodes je ne travaille presque pas. Mon énergie et ma capacité de concentration sont fluctuantes, je dois composer avec.

 

Le travail m’a toujours mise sous pression. Sous pression quand je surproduis, car je suis comme dopée, dans un état de surexcitation intellectuelle qui m’exalte autant qu’il m’épuise. Sous pression quand je ne produis pas ou pas assez, car je culpabilise (intériorisation des préceptes productivistes du capitalisme, hello). À cela s’ajoute la pression de vouloir bien faire (perfectionnisme, hello), et la pression d’avoir des comptes à rendre à la communauté autiste. Je ne m’autorisais pas à m’arrêter, car je me sentais investie d’une mission (complexe de la sauveuse, hello). Ainsi à titre d’exemple, quand j’ai décroché mon poste d’enseignante-chercheuse à l’INSHEA, c’était une victoire pour moi, mais aussi de mon point de vue pour toute la communauté, car je souhaitais porter des projets de recherche atypiques sur des sujets peu explorés, et/ou avec des méthodologies participatives qui incluent les personnes autistes. Je voulais, grâce à ce travail, continuer à apporter ma pierre à l’édifice et faire une différence. Grosse, grosse pression.

L'enfer, c'est le travail

Je crois aussi que le travail a longtemps permis de faire écran à ma dépression chronique, avec plus ou moins de succès. Quand je travaillais comme une dingue, je n’avais pas le temps de penser à autre chose. Et dès que je m’arrêtais, après 2 ou 3 jours, je commençais à déprimer. Un bon gros cercle vicieux.

 

 Enseignante chercheuse : des conditions de travail difficiles

 

Voici trois ans que je suis à l’INSHEA. Avec le recul minuscule qui est le mien, je peux dire que j’adore mon métier, mais que les conditions de travail actuelles ne me permettent pas de l’exercer correctement. Les enseignants-chercheurs sont en sous-effectif alors que le nombre d’étudiant‧e‧s ne cesse d’augmenter (voir par ex cet article du Monde) Résultat des courses : nous sommes éclatés sur dix millions de tâches, dont beaucoup de tâches administratives. J’estime pour ma part avoir été très préservée, notamment grâce aux aménagements que j’ai obtenus dans le cadre de ma RQTH. Malgré cela, devoir gérer les mails, les demandes de financement pour les projets de recherche, conduire lesdits projets de recherche, monter les dossiers pour les comités d’éthique, rédiger des articles scientifiques, relire et corriger les articles scientifiques de collègues, participer aux colloques (voire les organiser), préparer et donner les cours, encadrer des mémoires, et se retrouver dans des groupes de travail sur des sujets transversaux propres à l’établissement (l’e-learning par exemple) : cela ne peut pas se faire correctement à moins de travailler nuit et jour. J’ai eu la sensation de ne pas pouvoir donner le meilleur de moi-même, à force d’être toujours dans l’urgence, et de n’avoir pas d’espace mental disponible à consacrer aux sujets de fond. À titre d’exemple, je n’ai pas rédigé un seul article scientifique en trois ans.

 

Le multitasking m’a épuisée, et frustrée. Mon fonctionnement naturel est un fonctionnement « en tunnel » : il faut que je puisse me consacrer pleinement à une tâche, puis à une autre. Quand je suis sur plusieurs tâches en parallèle, sur une temporalité fragmentée, je m’emmêle les pinceaux, je n’arrive plus à réfléchir, et cela tue ma créativité et ma productivité. Je me suis même retrouvée par moments complètement paralysée pendant plusieurs jours, ne sachant plus comment prioriser et planifier mon travail.

 

 Travail : le risque du burn-out

 

En septembre dernier, au moment de reprendre mon travail, j’ai eu des bouffées d’angoisse très fortes. Premier signal d’alerte. Je crois que j’ai été arrêtée une première fois à cette époque, mais je n’en suis plus tout à fait sûre. En tout cas les arrêts se sont enchaînés, et c’était toujours une négociation avec ma médecin généraliste : elle voulait m’arrêter pour plusieurs semaines, je rechignais, arguant que j’avais trop de travail, que ça n’était pas possible, qu’il fallait que je tienne. J’ai eu un déclic lorsqu’elle m’a dit « Vous savez, ce sont les gens qui refusent de s’arrêter qui finissent en burn-out ». Et puis mes capacités cognitives s’étaient dégradées : j’avais beaucoup de difficultés à me concentrer, lire, écrire. Je voulais continuer à travailler, mais à quoi bon ? Je mettais trois fois plus de temps à accomplir n’importe quelle tâche, voire j’en étais incapable. Mon cerveau avait buggé pour me protéger. J’ai accepté un arrêt assez long au début de l’année 2022.

L'enfer, c'est le travail

Depuis, j’ai pris la décision de demander ce que l’on appelle dans la fonction publique « une disponibilité ». Mon poste est conservé, je peux revenir si je le souhaite, et en attendant je suis libre comme l’air. Je vais donc, à compter de septembre, prendre du temps pour moi, continuer d’alimenter ma plateforme de formation (www.julieacademy.com), et développer mon activité de conférencière en entreprise. Que du bonheur, car ce sont des activités que j’adore !

 

Je suis bien accompagnée et grâce à l’aide de mes jobs coachs, j’apprends à mieux organiser mon travail. Ma santé mentale s’est aussi nettement améliorée : le travail n’est donc plus une échappatoire pour moi, je ne suis plus dans une fuite en avant perpétuelle. Je prends plaisir à passer du temps avec les gens que j’aime, à faire du tennis, du Pilates, du yoga (se reconnecter au corps : une étape cruciale pour moi). Je m’estime très chanceuse d’avoir réussi à opérer ce changement radical. Cela m’a beaucoup déstabilisée au début, il m’a fallu réorganiser mon planning, recréer du lien social avec toutes les personnes que j’avais délaissées à cause de mon obsession pour le boulot, et accepter de ne rien faire du tout. Maintenant, c’est devenu une nouvelle routine, et je me sens revivre.  

 

J’espère réussir à développer une relation plus saine au travail, petit à petit. À l’heure actuelle je n’ai qu’un seul objectif : prendre du plaisir. Le reste suivra.   

 

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commentaires

I
Bonjour Julie, après m’être reconnue dans chaque page de « La différence invisible », je me reconnais dans le paragraphe sur le multitasking… même constat, même fonctionnement en tunnel… actuellement en arrêt depuis octobre… je dois reprendre en août… mon cerveau explose déjà au regard des multiples tâches auxquelles je devrais faire face… Merci pour ce partage.
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S
Je vous souhaite d'aller mieux !!!
A
Bravo, quelle analyse fine, courageuse et au final pleine d'optimisme de votre situation ! Bon courage pour la suite, et tous mes voeux pour une vie professionnelle plus apaisée... :-)<br /> Amitiés ! Anna M (anciennement "Elizée-poupées")
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S
Merci du partage !<br /> Je suis présentement en "boreout" (le cousin du burn-out), et il me faut faire des efforts afin de ne pas en prendre trop dans mon horaire en compensation. Ça risque de tourner en burn out si je me laisse faire 😂😅
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S
Prendre du plaisir... quelle jolie expression. Je vous en souhaite plein, du plaisir. Merci Julie, vous m'avez tant aidé à mieux comprendre ou du moins entendre mon fils qui a son propre fonctionnement , un peu semblable au votre. <br /> Bon été à être. Sophie
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