Cours de psychologie clinique (le dernier d'une journée bien remplie). L'amphi est bondé. Devant moi, une fille qui ne s'est pas lavée depuis 3 semaines, derrière moi, une autre congénère qui N'ARRETE PAS de papoter. J'essaye de me concentrer sur ce que dit notre cher professeur, mais entre l'odeur nauséabonde et le bavardage incessant, j'ai du mal. Beaucoup de mal. Je voudrais dire à la fille de derrière de se taire, mais je n’ose pas. D’autant qu’elle semble assez vindicative :
- « Non mais c’est ouf quoi, attends, moi je me suis grave énervée, le mec, il peut pas me parler comme ça ! Hein ? Il a dit quoi le prof ? Ah ouais. Pffff j’comprends que dalle. Donc j’te disais blablablablaa. »
Et je ne peux pas dire à la fille de devant d’aller prendre une douche. Je suis coincée.
Depuis le début d’après-midi, je suis barbouillée, j’ai envie de vomir, la tête qui tourne. Je ne dors pas bien depuis plusieurs nuits, mon corps serait-il en train de me lâcher ? Serait-ce le signe annonciateur d’un « meltdown » ?
J’ai envie de me taper la tête contre mon clavier d'ordinateur. Ou de mettre un coup de boule à Melle Blabla, au choix. Je contiens sagement toutes mes pulsions violentes. (« Pense à ce qui t’arriverait si tu faisais ça ! Pas de scandale, pas de vagues, maîtrise-toi ! »)
- Se maîtriser, se contenir, pour passer inaperçue. Ne pas attirer l’attention. Ne pas faire de vagues. Ne pas éveiller les soupçons. Rester assise bien calmement.-
Je suis, encore à 28 ans, une petite fille sage qui fait tout pour que son secret ne soit pas découvert. L’illusion est parfaite. Manque plus que les couettes.
Le cours se termine, je roule vers le centre afin d'aller acheter un oeuf de Pâques pour mes parents. Tradition oblige.
J'ai un mal de crâne lancinant.
La chocolaterie est pleine à craquer. Les lumières m’agressent. Dieu que les gens sont lents. On dirait presque qu’ils prennent leur temps pour faire durer le plaisir d’être là, à choisir un œuf de Pâques. Pour moi, c’est un calvaire. Mon corps n'est pas loin de m'abandonner.
- S’appuyer mollement contre un mur et attendre son tour, les yeux dans le vide. S’enfermer dans sa bulle. Tenir bon. -
Mon tour arrive. Je lance d’une traite « Une poule en chocolat noir, garnie, taille 1, à 30 euros s’il-vous-plaît »
- Se redresser. Regarder à hauteur des yeux. Sourire. Donner le maximum d’informations dès le début, pour éviter le jeu des questions-réponses. Tenir bon.-
« Merci Madame ». Je repars. Je passe chez mes parents pour récupérer mon chien qui était en garde chez eux. Ma mère a envie de parler. Pas moi.
- Faire bonne figure. Discuter un peu.-
Je rentre chez moi, tenant mon chien en laisse d’un côté, portant mes courses de l’autre. Je me traîne, je suis épuisée. Je croise un chien qui n’est pas tenu en laisse. Il fonce droit sur nous, je fais barrage pour éviter que mon Popeye n’essaye de le mordre. Le maître me lance un : « Ne vous inquiétez pas Mademoiselle, il n'est pas dangereux » ARRRRGH
Illustration de mon Moi, de mon Ca, de mon Surmoi, de mon Toitoimontoit ainsi que de mon conscient, préconscient, surconscient, après conscient et multiconscient à cet instant
précis
C’est mon chien le problème, pas le tien !!! Il fait 2 kgs, il a peur des chiens qui en font 20 et qui lui foncent dessus, ça le rend agressif! Et si le tien
était tenu en laisse je n’aurais pas besoin d’avoir à brandir mon œuf de Pâques pour le tenir à distance, Tonnerre de Brest!
- Répondre poliment « C’est le mien qui pose problème ». Ne pas s’énerver. Et passer son chemin.-
Enfin chez moi. Home sweet home. J’ai envie de pleurer, j’ai envie de crier, j’ai envie de me rouler en boule dans un coin et d’y rester une semaine entière.
- Ne pas craquer. Allumer son ordinateur. Ecrire. Penser aux autres, à tous les autres, à tous ceux qui galèrent comme moi et qui se sentiront moins seuls à la lecture de cet article.
Garder espoir. Rester positive.-
Car demain, une autre journée typique attend la petite fille atypique sans couettes.
Adampop - "Why so serious" - Flickr