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26 février 2013 2 26 /02 /février /2013 18:21

Rencontre avec ma voisine ce jour sur le palier, alors que j'allais sortir mon chien Popeye :

Moi : - « Bonjour ! Comment allez-vous ?

Elle : - Bonjour ! Bien ! Et votre petit chien comment ça va ?

Moi : - Ca va bien !

Elle : - Il a hâte d’aller dehors !

Moi : - Ah oui, il a hâte d’aller dehors

Elle : - Il connaît le chemin !

Moi : - Ah oui ça, on peut dire qu’il connaît le chemin

Elle : - Bonne après-midi

Moi : - Bonne après-midi »

 

Voilà un parfait exemple de la manière dont je communique avec quelqu’un dans le cadre d’un échange bref quand je n’ai rien de particulier à dire : en écholalie ! Je répète instinctivement tout ce qui m’est dit, en agrémentant un peu de « ah » et « oui » pour apporter une touche personnelle. Et le pire, c’est que cette méthode du perroquet fonctionne à merveille : je me suis sentie gourde mais cette voisine, elle, n’y a vu que du feu.

 

 

Cette petite anecdote m’a fait réfléchir aux différentes stratégies de communication que je mets en place pour « survivre » dans notre monde social et je me suis dit qu’il y avait sans doute matière à écrire un article ! (voire même une encyclopédie en 4 tomes, en creusant un peu)

 

Si un inconnu entame une conversation informelle avec moi à  un moment inattendu, je dois activer le mode « compréhension des échanges entre bipèdes ». Le temps de « rentrer » dans la conversation et de sortir de mon état de veille, je vais devoir lui demander plusieurs fois de répéter ses propos afin d’améliorer ma compréhension. Exemple vécu : Une étudiante de mon groupe de TD à la fac m'interpelle, alors que nous étions en train d'attendre devant la salle de classe :

Elle : - Tu es dispensée d’assiduité toi, non ?

Moi : - pardon ?

Elle : - tu es dispensée d’assiduité ?

Moi : - oui

Elle : - tu travailles ?

Moi : - pardon ?

Elle (sur un ton plus fort) : - tu travailles ?!

Moi : - oui

 

Et ainsi de suite. Evidemment je donne l’impression d’être sourde comme un pot (ou complètement stupide, au choix), ce qui est assez déstabilisant pour mon interlocuteur. Si la conversation se poursuit, je sais qu’il est attendu de moi que je devienne actrice de cet échange, au lieu de continuer à répondre passivement aux questions qui me sont posées. Je vais donc, le plus souvent, retourner les questions. Ce qui donne par exemple :

Moi : - et toi, tu travailles aussi ?

 

Au sein d’un groupe de plusieurs personnes, les choses se corsent encore plus. Je plante le décor : nous sommes au baptême de ma nièce, après la cérémonie religieuse, dans le jardin de ma soeur et mon beau-frère pour manger un morceau et boire une coupe de champagne. Il fait beau, les oiseaux chantent… MAIS il y a une trentaine de personnes autour de moi avec lesquelles je suis censée interagir. Là, ma stratégie est simple : étant donné que c’est une réunion familiale, je vais me greffer à mes parents et ne pas les décoller d’une semelle. J’ai pu remarquer que les groupes de discussion n’étaient en général pas composés de plus de 5 ou 6 personnes. Je vais donc être au sein d’un de ces groupes, en compagnie de mes parents, et hocher la tête, sourire bêtement, prendre un air intéressé, une coupe de champagne à la main (je ne bois pas mais je fais genre, ça me donne une contenance), en me balançant subtilement d’une jambe sur l’autre (une petite stéréotypie que je ne peux pas éviter dans ces circonstances, tant il est difficile et insécurisant pour moi d’être debout. Au moins en étant assise j’ai l’impression d’avoir mon périmètre de sécurité, tandis qu’en étant debout, les gens vont et viennent, tout semble beaucoup plus imprévisible) Ne me demandez pas de participer à la conversation, c’est impossible, tout va trop vite et j’ai à peine le temps de réfléchir à une réplique que tout ce petit monde est déjà passé à autre chose.

 

S’il ne s’agit pas d’une réunion familiale et que je suis assise, je vais tenter d’engager la conversation avec une personne à mes côtés. Si celle-ci est assez intéressante et qu’un véritable échange peut s’instaurer, je ne m’en sors pas trop mal. Par contre si l’échange est superficiel, très vite je suis à cours d’idées, et la conversation retombe comme un soufflé au fromage. 

S’il ne s’agit pas d’une réunion familiale et qu’EN PLUS je dois être debout (au vin d’honneur du mariage d’une amie par exemple) alors là c’est l’horreur absolue. Qui aller voir ? Comment faire ? Quelle posture adopter ? C’est un cauchemar.

 

Pour les échanges de tous les jours, chez les commerçants, chez le médecin ou chez le coiffeur par exemple, je me débrouille bien, car j’ai un script enregistré en tête depuis longtemps. Mais quand j’étais plus jeune, c’était la croix et la bannière. J’imaginais avant d’y aller tous les scénarios possibles pour me préparer mentalement (et si le boulanger n’a plus de monnaie ? Et si je n’arrive pas à faire l’appoint ? Et s’il n’a plus de baguette ? Et si une météorite rose fluo s’abat sur nous ?).

J’ai par contre mis beaucoup de temps à comprendre une règle toute simple : quand on va chez le coiffeur, il faut discuter avec ledit coiffeur. Je me disais bêtement qu’il avait sans doute besoin d’être concentré pour faire son travail et qu’il ne fallait pas le déranger. A chacune de ses tentatives je répondais par onomatopée, pour couper court. Dans ma tête je me disais qu’il voulait sans doute être aimable, et qu’en ne lui donnant pas de grain à moudre, je lui faisais comprendre qu’il n’avait pas besoin d’être aimable avec moi. J’étais vraiment au niveau -10 de la compréhension des échanges humains. Le jour où j’ai compris qu’il fallait parler, que le coiffeur avait vraiment envie de papoter, pour le plaisir, que cela faisait partie de son travail, et que j’étais malpolie en ne lui offrant pas la possibilité de construire un échange avec moi, c’est un peu comme si j’avais découvert le fil à couper le beurre. Aujourd’hui, tant bien que mal, je discute, et j’ai conscience des sujets de conversation qui bien souvent « tombent » (la météo, les cancans, les nouvelles du JT notamment).

 

Enfin, last but not least, j’ai en tête un « stock » de réparties toutes prêtes (souvent humoristiques), que j’ai entendues autour de moi et qui peuvent dépanner et amener de la fluidité dans l’échange. Dès que j’entends une réplique qui me plaît, je la fais mienne et je la réutilise. Ca peut être une réplique entendue dans un film ou dans une série, que je vais éventuellement réadapter.

 

Je suis aussi capable d’un minimum de spontanéité, mais qui ne serait pas possible si je n’avais pas mis en place toutes ces stratégies qui offrent un « cadre » et qui sécurisent l’échange.

 

Avec des personnes qui me sont proches et avec lesquelles je me sens en confiance, je suis évidemment beaucoup plus naturelle que ce qui est décrit ici.

Avec les animaux je dirais que j'atteins le summum de la fluidité dans la communication. C'est le top of the pop, la crème de la crème. Tout est transparent et explicite. C'est parfaitement reposant.

chats-bagarre.jpgH2@Japan - "Connect" - Flickr

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commentaires

Z
Salut ! J'adore ton blog, ton humour. Vraiment. J'ai eu une revelation en decouvrant le SA mais j'ai aussi peur de m'imaginer quelque chose de faux. Il est une heure du matin, je fais insomnie sur insomnie. Je suis un homme donc, contrairment aux aspergirls, je ne me suis jamais dit "ah je suis different donc il faut que je fasse ci et ça". En fait, je crois que j'ai reussi à m'integrer chez les neurotypiques mais de manière inconsciente. Sans meme avoir conscience de ma difference a moi.<br /> Par exemple les échanges bidons, les questions bidons, et les reponses bidon. C'est pas compliqué, mais il faut que je me mette en mode "Ok donc là je dois faire la conversation, c'est à dire parler pour ne rien dire" <br /> Je me reconnais dans ton parcours. La troisieme notamment, a ete une source enorme de souffrance. Je me repetais les memes insultes +automutilation. Avant je pensais que c'etait uniquement du au fait que je n'acceptais pas mon homosexualite mais maintenant je pense que c'etait "croisé"<br /> Quelle idée de decouvrir le syndrome d'Asperger à deux jours du bac de francais ?
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E
Wouha! Tu vas chez le coiffeur ?<br /> Inimaginable pour moi. Bon faut dire que je mes cheveux sont ce que j'ai de plus sacré et qu'il est hors de question que qui que ce soit me les tripote. Même si je les garde presque toujours attachés en tresse... enfin bref..<br /> Impossible pour moi aussi d'aller chez les petits commerçants, c'est trop imprévisible, on risque de me demander ce que je veux (à part les boulangeries, où je veux invariablement un chausson aux pommes), et donc tempête dans le crâne.<br /> Par contre j'aime bien les petites interactions sociales de type "ascenseur". On va au plus direct (ouf) et c'est court (double ouf).<br /> Par contre j'ai réunion de copropriété cette après midi à 18h30...Arg!<br /> L'an dernier, j'ai dormi tout du long... ><
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H
Bonjour Super Pépette,<br /> <br /> Je suis tombé sur vos vidéos à l'occasion de la journée de l'autisme, et du coup sur votre blog. Je suis complètement estomaquée de voir à quel point, bien que je sois étudiante en médecine, que j'ai travaillé en stage avec des enfants autistes, que les neurosciences sont globalement un sujet qui me passionne, j'étais complètement passée à côté de toute une frange de l'autisme. J'analyse ça principalement par le fait que comme vous l'avez expliqué souvent, l'autisme est extrêmement hétérogène et est donc la cible de beaucoup d'idées préconçues, mais aussi parce que l'autisme (a fortiori Asperger) au féminin est carrément occulté.<br /> <br /> Maintenant à un plan plus personnel, je dois dire être hyper troublée par un certain nombre de caractéristiques que vous avez décrites, qui me correspondent de façon assez perturbantes et que je n'avais jamais vues sous cette angle. <br /> <br /> Bon, bien-sûr, j'ai su depuis toujours que j'avais "un peu de mal avec les interactions sociales", ou que j'étais comme je le disais en plaisantant "un peu autiste". Je me suis d'ailleurs réellement acceptée comme ça la première fois que j'ai entendu le terme d'"introverti" assez récemment. Pas dans le sens d'un défaut (ça on me l'avait bien-sûr déjà dit maintes fois petite), mais dans le sens d'un fonctionnement cognitif à part entière, minoritaire, et dont la définition la plus satisfaisante que j'ai trouvée était le fait que l'introverti se régénère dans le calme, contrairement à l'extraverti qui se régénère au contact des autres. Cela a été vraiment libérateur pour moi car ça m'a permis de comprendre pourquoi je pouvais être épuisée après des interactions sociales, et mon besoin d'isolement après ça.<br /> Qu'est-ce que c'est proche de ce que vous décrivez sur votre autisme ! Je dois avouer que j'avais les idées préconçues selon lesquelles les personnes autistes étaient des personnes manquant d'empathie, froides et indifférentes, alors qu'elles sont finalement toutes proches de moi.<br /> Mais alors quand je vous ai entendu parler des difficultés psychomotrices pouvant prendre la forme d'une maladresse, de difficultés d'orientation spatiale et de problèmes pour conduire une voiture, qui sont des caractéristiques contre lesquels je me bats depuis toujours et qui me rendent assez honteuse, ça a commencé à devenir perturbant.<br /> Maintenant quand je lis cet article, que j'aurais tout aussi bien pu écrire moi-même, avec le dialogue avec la voisine en écholalie, la corvée de la conversation chez le coiffeur (mais ça c'est tout le monde, non ?), le besoin d'avoir des cadres préconnus et des phrases toutes faites dans toutes les situations sociales les plus simples sous peine de rester comme une bécasse muette...<br /> <br /> Je ne sais pas si cela doit me faire considérer comme une autiste, et a priori je ne le pense pas, mais le fait d'entendre parler de ces "fonctionnement cognitifs alternatifs", m'apporte définitivement des clés pour me comprendre moi-même.<br /> <br /> Enfin, bref, j'ai été énormément autocentrée dans ce commentaire, je m'en excuse et ne vous en voudrais absolument pas de ne pas lire ce pavé. ;) Mais en résumé : merci pour votre apport qui est extrêmement enrichissant !
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S
Merci à vous d'être venue par ici et... faites tourner à vos camarades de médecine!!!
C
Perso j'ai tellement fait semblant que je ne sais même plus quand je fais semblant...et là c'est la merde...
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S
J'aime beaucoup les anecdotes (et aussi la photo des chats à la fin ;) )
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L
a oué c marant lol<br /> <br /> désolé.

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