Oyé oyé chers amis neurotypiques de mon coeur, cet article s’adresse à vous !
Je réfléchissais depuis quelques temps à la meilleure façon de vous sensibiliser à ce que nous, personnes autistes, vivons au jour le jour dans le monde social qui est le nôtre, et j’ai eu l’idée de mettre en place une petite métaphore. Elle ne retranscrira jamais parfaitement notre réalité, mais je pense qu’elle peut vous aider à en avoir un petit aperçu.
Vous êtes prêts à vous glisser dans la peau de votre personnage? Vous êtes prêts à voyager vers une contrée lointaine aussi fascinante que Pandora?
A vivre une aventure riche et passionnante, qui vous fera vibrer? Rêver? Fantasmer?
Hmm hmm je m'emballe. J'aurais dû bosser dans la pub, j'ai raté ma vocation.
Bon allez, trêve de blabla, c'est parti!
Vous vous appelez Micheline et souffrez, depuis votre plus tendre enfance, de diabète insulino-dépendant*. (moui, pour le fun et l'aventure, on repassera)
Malheureusement pour vous, vous êtes née sur la planète « LèBonbonCèTroBon » qui n’est pas très hospitalière avec les personnes de votre espèce :
- TOUS les habitants adorent les bonbons et ne mangent que ça en permanence, c’est la chose la plus naturelle qui soit, comme respirer de l’eau ou boire de l’air.
- Ils ont coutume de se retrouver entre eux régulièrement pour en picorer ensemble et passer ainsi un moment convivial.
- Toutes les entreprises sont dédiées à la fabrication et la commercialisation de bonbons. Les écoles forment donc naturellement (et exclusivement) à ces métiers.
- Le diabète est une maladie très méconnue, qui semble bien étrange aux yeux des habitants.
Photo extraite du site http://www.bigbangchocolat.fr/Detail-ingredient/Bonbon-ourson/Baby-choc/pa20i26r19.html
Etant petite vous faisiez régulièrement des malaises et étiez très mal en point. Vos parents vous ont emmenée voir de nombreux médecins qui étaient complètement dépassés par vos symptômes, jusqu’à ce que vous obteniez enfin, à l’âge de 13 ans, votre diagnostic. Ce diagnostic tardif a mis votre santé en péril et vous gardez des séquelles de toutes ces années passées à consommer des bonbons alors que c’était la dernière chose dont vous aviez besoin… Mais vous vous estimez chanceuse, car certains de vos amis diabétiques ont été diagnostiqués encore plus tardivement, à 20, 30 voire même 40 ans !!
Depuis que vous êtes diagnostiquée, vous avez appris à gérer votre maladie. Vous faites au mieux pour éviter les bonbons (même si ça n’est pas très bien vu par vos concitoyens) et prenez soin de vous injecter quotidiennement de l’insuline. Il vous arrive parfois de faire des crises d'hypoglycémie, mais dans l’ensemble les choses se passent bien.
Vous avez traversé de nombreuses périodes de chômage, et ce, malgré votre bagage universitaire. Qui voudrait d'une employée diabétique dans une usine de bonbons? Heureusement depuis peu le vent a tourné et vous avez décroché un job auprès d'un patron plus tolérant que les autres qui a bien compris que votre diabète n'était pas un affront à la société mais une simple différence qui ne vous empêchait pas d'être aussi productive que les autres. Jusqu'à présent, il ne vous a jamais obligée à manger des bonbons ou à participer aux "repas bonbons" hebdomadaires pendant lesquels tous les salariés se réunissent pour goûter de nouveaux bonbons. Vous n'êtes pas très bien vue par vos collaborateurs mais au moins vous avez la paix.
Ce soir vous êtes invitée chez des amis qui ne sont pas diabétiques. Vous appréhendez beaucoup cette soirée car vous savez que les bonbons seront omniprésents et que vous pourrez difficilement vous soustraire à leur consommation sans passer pour une empêcheuse de tourner en rond. Certes, ces amis ont bien conscience de votre différence, car vous avez pris soin de leur expliquer comment fonctionne la maladie dont vous souffrez, mais ils trouvent néanmoins que vous en faites un peu trop et que vos crises de diabète sont avant tout « psychologiques ». Les bonbons n’ont jamais fait de mal à personne ! Tout ça, « c’est dans la tête ».
Votre conjoint vous accompagne à cette soirée. Lui non plus n’est pas diabétique et même s’il dit vous accepter comme vous êtes il a encore du mal à comprendre que les bonbons puissent vous rendre malade. Vous êtes très anxieuse, et avez peur de faire une crise d’angoisse, comme cela vous arrive parfois avant ce type d’évènements…
Une fois sur place vous vous forcez à en manger une petite poignée pour leur faire plaisir en espérant que ce compromis sera suffisant aux yeux de tous. Vous n’êtes pas au mieux de votre forme mais faites bonne figure. Courageuse, la Micheline.
Tous vos amis mangent des bonbons, parlent de leur journée de travail pendant laquelle ils ont fabriqué des bonbons, échangent leurs impressions sur les différents bonbons qu’ils sont en train de déguster. Ils ont l’air de beaucoup s’amuser. Du fait de votre différence vous vous sentez mal à l’aise, vous ne savez pas comment vous inclure dans les conversations alors qu’elles sont toutes focalisées sur ces maudits bonbons. Un ami vous interpelle « Allez, quoi ! Reprends un petit bonbon et dis-nous ce que tu en penses ! ».
Tous les regards sont posés sur vous : quel genre d’extraterrestre pourrait refuser de manger un bonbon ?! Votre compagnon vous interpelle « Mais allez Micheline, c’est délicieux, ne fais pas la chochotte ! ». Vous mangez ce bonbon.
Vous commencez à avoir des nausées, des maux de ventre, la tête qui tourne… Vous craignez un coma hyperosmolaire.
Les conversations vont bon train. Vous avez de plus en plus de mal à sourire et à faire bonne figure. Vous aimeriez partir mais savez que cela serait mal perçu par vos amis.
Une amie vous tend une poignée de bonbons « Goûte-moi cette merveille ! C’est une nouvelle recette que j’ai inventée, ce sont des prototypes, je les ai fabriqués aujourd’hui même à l’usine ! »
Impossible de dire non, tout le monde autour de cette table est passionné de bonbons, votre amie vous fait un grand honneur en vous proposant de goûter cette nouvelle recette, vous vous sentez coincée. Vous mangez cette nouvelle poignée, qui est clairement LA ration de trop et vous vous retrouvez à l’article de la mort. Votre ami doit vous transporter d’urgence à l’hôpital, ce qui le rend de fort méchante humeur « Rooo quand même ! Tu pourrais faire des efforts ! Qu’est-ce-qu’ils vont penser nos amis ?! Tout ça pour quelques malheureux bonbons, tout le monde en mange voyons, qu’est-ce-qui ne tourne pas rond chez toi ? ». Selon lui vous avez, encore une fois, gâché la soirée.
Votre désarroi est immense car malgré tous vos efforts vous n’avez pas pu être à la hauteur de ce qui était attendu de vous et savez que vous ne le serez jamais. Vous vous sentez très seule. Vos difficultés – pourtant bien réelles – ont comme toujours été balayées d’un revers de la main sous prétexte qu’elles n’étaient pas partagées par le reste de l’assemblée.
De nombreuses questions se bousculent dans votre tête :
- Comment faire comprendre aux autres que vous n’y êtes pour rien ?
- Que faire ? Arrêter de manger des bonbons et être mise au ban de la société ? Continuer à en manger jusqu’à la crise de trop ?
- Comment trouver le juste équilibre ?
Vous avez beau faire de votre mieux pour garder le moral, il est vrai que parfois votre avenir vous semble bien sombre sur cette planète inhospitalière...
Vous croyez que j’exagère ?
Vous vous dites que ces amis et ce conjoint sont particulièrement indélicats ?
Détrompez-vous.
Incompréhension et intolérance sont notre lot quotidien. Rares sont les personnes qui prennent réellement la peine d’essayer de comprendre notre handicap (qui bien qu’invisible, n’en est pas moins réel! Tout comme le diabète...).
Maintenant, voici une petite traduction, pour ceux qui ne seraient pas très familiers avec l’autisme, avec une différence majeure néanmoins puisque l’autisme n’est PAS une maladie mais un trouble neurologique :
Je m’appelle Super Pépette et je suis atteinte, depuis ma plus tendre enfance, du Syndrome d’Asperger. Malheureusement pour moi, je suis née sur la planète Terre qui n’est pas très hospitalière avec les personnes de mon espèce :
- TOUS les habitants adorent les interactions sociales. Echanger est la chose la plus naturelle qui soit, comme respirer de l’air ou boire de l’eau.
- Ils ont coutume de se retrouver entre eux régulièrement pour bavarder et passer ainsi un moment convivial.
- Les compétences sociales, qui me font défaut, sont indispensables pour espérer décrocher/maintenir un emploi et pour vivre une scolarité sereine.
- L’autisme est un trouble très méconnu, qui semble bien étrange aux yeux des habitants.
Vous imaginez que l'on puisse dire à une personne diabétique "Oh mais détends-toi un peu, mange des bonbons tu verras ça va te faire du bien" ?
Shocking, isn't it?
Alors pourquoi it's not shocking quand quelqu'un nous sort "Oh mais détends-toi un peu, sors, vois du monde, tu verras ça va te faire du bien"?
What the f**ck?
"Tu vas ENCORE te faire une injection d'insuline?" =
"Tu vas ENCORE rester tout(e) seul(e)?"
Et oui, nos temps de repos et de solitude nous sont indispensables, tout comme les injections d'insuline le sont pour une personne diabétique.
"Tu ne crois pas que tu exagères un peu avec ton coma hyperosmolaire?" =
"Tu ne crois pas que tu exagères un peu avec tes crises de mutisme?"
Excès de sucre = coma hyperosmolaire; excès d'interactions sociales = crise de mutisme. Non je n'exagère pas, je fais ce que je peux.
Dieu que cette méconnaissance de notre handicap est pesante et insultante. Par pitié ne vous comportez pas comme le commun des mortels, informez-vous!
Un petit résumé pour la route :
Vous noterez que j'ai mis l'accent sur l'aspect social de notre syndrome, en omettant les autres aspects, qui n'en sont pas moins handicapants pour autant (hyper sensorialité et hyper sensibilité notamment) Je n'ai pas non plus mentionné les comorbidités éventuelles liées à l'autisme (troubles intestinaux, troubles du sommeil etc.) Point trop n'en faut, cette pauvre Micheline galère déjà suffisamment comme cela.
Alors, de vous à moi, confidence pour confidence, vous vous imaginez vivre dans la peau de Micheline?
* Désolée pour les éventuelles imprécisions concernant le diabète, j'ai fait du mieux que j'ai pu grâce à la magie d'internet et de wikipedia!