Josef Schovanec, qui est un peu notre Daniel Tammet national, a coutume de dire « On peut avoir un doctorat et ne pas savoir dire « bonjour » de manière appropriée, ce sont deux compétences totalement différentes ». Bien dit, Josef! J’ajouterais ceci : si dire bonjour est compliqué, alors dire au revoir, pour nous personnes autistes, est un pur calvaire...
Du temps où j’étais en couple avec un neurotypique - ce qui remonte peu ou prou à l’ère paléolithique - j’allais parfois à des apéros chez les amis de mon compagnon. Evidemment il fallait que nous convenions au préalable d’une heure de retour, pour que j’aie un cadre horaire et une « limite » en tête. Imaginons que nous nous soyons mis d’accord pour rentrer à minuit. A 00h05, je frémissais. A 00h10, je commençais à jeter des regards désespérés à mon compagnon, accompagnés de signaux physiques aussi subtils que romantiques (petits coups de pied, pincements, tapotements sur le bras et j'en passe). A 00h15 mon désespoir se transformait en agacement. A 00h20 j’osais un délicat « Bon il est 12h20 là !!! On y va ?? ». A 00h30 mon couple était au bord de la rupture et moi au bord de l’implosion.
A 00h35, nous nous levions enfin. Ne restait plus qu’à dire au revoir.
Aïe.
Et c’est là que ça coince, presque autant qu’une zigounette dans une braguette*.
Personnellement je serais du genre à lancer un « Au revoir j’y vais ! » général en faisant un petit salut de la main. Propre et efficace. Malheureusement dans la vraie vie les choses ne se passent pas comme ça, gare à vous si vous suivez mon exemple, vous pourriez passer pour un malotru, un chenapan, un garnement, que sais-je encore.
Dire au revoir à chaque personne présente, de façon individuelle, est une manière plus civilisée de prendre congé. Là encore, dans mon cas les choses pourraient être expédiées très rapidement : j’ai coutume de faire la bise accompagnée d’un « aurevoirbonnesoirée » et en 30 secondes chrono j’ai salué tout le monde, la clé de la voiture en main, prête à partir vers mon oreiller de nouvelles aventures.
Mais comme lors des échanges sociaux rien n’est jamais simple, à procéder de la sorte je me retrouvais systématiquement comme une godiche à attendre que mon compagnon ait fini de dire au revoir à tout le monde. Se déroulait sous mes yeux une chose étrange que je n’ai toujours pas fini de m’expliquer : une mini-conversation s’engageait systématiquement avec chaque personne qu'il était en train de saluer.
Et piapiapia,
Et blablabla,
Et hahaha
Re piapiapia
Re blablabla
Re hahaha
Ce qui aurait pu être bouclé en 30 secondes chrono s’éternisait au-delà du raisonnable.
Je ne résiste pas à l'envie de citer notre cher Cyprien qui exprime à merveille ce que je ressens face à ce genre de mystère :
Pourquoi échanger de nouveau avec une personne alors que cela fait déjà 4h que l’on parle tous ensemble ?
Que peut-il y avoir de si crucial à dire à ce moment précis ?
A part « au revoir », que peut-on bien se dire d’autre ?
Quel plaisir peut-on y trouver ?
POURQUOI ???
Je n’ai toujours pas la réponse à ce jour, si vous avez des pistes je suis preneuse ! C’est une des 1001 subtilités sociales qui me dépassent complètement et dont j'aimerais saisir le fonctionnement, à défaut d'avoir forcément envie de les imiter.
* Bon ça n’est pas très élégant comme formule je vous l’accorde, mais c’est rigolo et ça sonne bien !