Zorro est autiste, j’en suis convaincue ! Après Einstein, Steve Jobs, Georges Lucas et Keanu Reeves, en voilà un autre qui vient grossir le rang des autistes people. A quand Paris Hilton ?
Non non je n’affabule pas, soyons sérieux, cette conviction profonde n’est pas sans fondements. Jugez par vous-même : si vous avez un autiste dans votre entourage, vous aurez sans doute remarqué sa soif de vérité et son sens de la justice.
Le mensonge n’est pas « inné » pour nous autres autistes, il peut être appris, comme d’autres types de « compétences ». (Oui c'est malheureux mais le mensonge dans le cadre des échanges sociaux est bel et bien une compétence, allez dire à votre médecin qu’il pue des pieds, je ne suis pas sûre qu’il apprécie votre franchise.) Mais il n’est pas pour autant naturel et est en général utilisé avec parcimonie dans des cas d’extrême nécessité. Je suis pour ma part tout à fait capable de mentir, uniquement dans le but de sauver mes fesses, pour m’éviter par exemple un évènement social indésirable : « Non ce soir je ne peux pas, j’ai piscine ». Variante : « Non ce soir je ne peux pas, j’ai gastro »
Ce n’est qu’à l’âge de 7 ans que j’ai vraiment saisi le concept de mensonge, quand ma mère m’a annoncé que le Père Noël n’existait pas. J’ai très peu de souvenirs de mon enfance mais celui-ci est gravé dans ma mémoire. Je me revois encore, assise sur ses genoux dans la cuisine de l’appartement, en larmes, inconsolable. J’ai à cet instant précis réellement compris qu’un humain (adulte qui plus est) pouvait sciemment mentir à ses proches. Il était possible de dire quelque chose de totalement faux, pour volontairement tromper son entourage. Mazette, quelle révélation.
S'en sont suivies des prises de conscience en rafale :
- Non cette crème anti-rides n'est pas efficace, tout comme ce dentifrice aux 7 actions (à quand le dentifrice aux 28 actions?); non les produits laitiers ne sont pas nos amis pour la vie. Encore aujourd'hui je suis choquée de voir la manière dont les produits nous sont vendus et les mensonges éhontés proférés par les grandes marques et autres lobbys. Comme le dit si bien l'excellent Frédéric Beigbeder dans son ouvrage "99 francs" : "Pour réduire l'humanité en esclavage, la publicité a choisi le profil bas, la souplesse, la persuasion." Tous ces mensonges me révoltent et me donnent la nausée.
- Non le monde de l'entreprise n'est pas bienveillant, la communication corporate nous vend une culture d'entreprise comme Danone nous vendrait un yaourt, et au final l'un est aussi fadasse que l'autre. En tant que salarié il est très peu probable que votre bien-être soit au coeur des préoccupations de l'entreprise, contrairement à ce que vantent les sites internet et autres plaquettes des grands groupes. Le monde professionnel est fait de stratégies mesquines, de luttes de pouvoir, de manipulation des salariés. Ma naïveté m'a valu d'y croire, et j'ai très vite compris que je n'étais qu'un pion sur l'échiquier du profit. Echec et mat en trois coups de cuillère à pot.
- Non les médias ne sont pas nos amis. Là encore nous sommes manipulés, essorés, lessivés. Vous croyez savoir ce qui s'est passé le 11 septembre? Je le croyais aussi, jusqu'à ce qu'un ami aspie à moi me dise "Tu savais qu'une 3è tour s'était effondrée ce jour-là?" Ben, non! Il suffit de faire quelques recherches sur le net pour découvrir que la version officielle qui nous a été vendue est une insulte à notre intelligence.
En général quand j'en parle à mon entourage, on me rétorque "C'est comme ça". Trois petits mots magiques qui devraient m'apaiser. "C'est comme ça" sous-entendu "on ne peut rien y faire, il faut faire avec". Et bien je suis désolée mais ma soif de justice et de vérité est bien plus forte que cette phrase qui sonne creux. Je ne peux pas me contenter d'une société médiocre.
L'auteur de ce documentaire est Giulietto Chiesa, membre du Parlement européen. Oui, c'est du lourd.
En sachant cela, il n'est pas étonnant que j'aie toujours été fascinée par les justiciers masqués. De l’âge de 6 ans jusqu’à mes 8 ans, à peine rentrée de l’école, je courais dans ma chambre revêtir mon costume de Fantômette, et je m’inventais des tas d’histoire au cours desquelles je défendais la veuve et l’orphelin (paraîtrait que les autistes n'ont pas d'imagination, encore une idée reçue qui a la vie dure). Je prenais mon goûter en Fantômette, je faisais mes devoirs en Fantômette, c’était ma deuxième peau, mon alliée, pour vaincre le mal et l’injustice.
Plus tard, j’ai été fascinée par la série « Buffy contre les vampires » (une jeune lycéenne mal dans sa peau qui s’avère être la Tueuse de vampires, l’Elue, devant combattre les forces du mal : un régal !). J’étais vraiment hypnotisée, je m’imaginais être elle, j’en rêvais la nuit, c’était une obsession. Et aujourd’hui, dans un style plus moderne et torturé, je suis fan absolue de la série Dexter.
Je réalise à présent que je ne me suis pas prise de passion pour ces personnages par hasard, ils ont eu une réelle utilité en me permettant d’assouvir ma soif de justice, qui, dans le monde réel, est constamment malmenée. Autour de moi, l’injustice est partout, je ne peux rien y faire. Quand bien même je pourrais agir, il n’est en général pas socialement acceptable de le faire : en classe, un autiste qui lève le doigt pour s’exclamer « Maxence il copie sur moi ! » apprendra à ses dépens que ce comportement n’est pas désirable et qu’il vaut mieux qu’il apprenne à tolérer ce genre d'évènements. Mais mes potes Fantômette, Buffy et Dexter, eux, ils n'ont pas à se poser de questions, l'injustice, ils la dézinguent, et ça, ça fait du bien.
Récemment, deux mésaventures m’ont rappelé oh combien il est toujours aussi difficile pour moi d’accepter l’injustice et m'ont donné l'envie d'écrire cet article :
- Le 18 octobre dernier j’ai eu droit à une amende de 17 euros alors qu’un ticket de stationnement valable jusqu’au lendemain matin était bel et bien visible derrière le pare-brise de ma voiture. J’ai appelé le tribunal de police et la préfecture pour leur signifier mon mécontentement, leur réaction a été unanime, en gros « Ah bah ma bonne dame c’est comme ça, vous devez envoyer un courrier pour prouver que vous aviez un ticket ». Donc pour résumer : j’ai payé mon ticket, l’agent qui m’a mis cette amende est bigleux, et c’est néanmoins à MOI de prendre le temps de rédiger un courrier et d’apporter la preuve de ma bonne foi (et, par-dessus le marché, de payer un timbre : je ne suis pas une rapia, je trouve juste le principe aberrant). Quand je leur ai fait remarquer cette injustice flagrante, ils m’ont répondu « Oui oui. Il faut faire un courrier Madame ». Je pense qu’il est beaucoup plus facile pour les neurotypiques de « laisser courir », mais moi j’en suis tout bonnement incapable, je trouve cela inacceptable, car ça n'a tout simplement aucun sens pour moi!
Qu’est-ce-que je pouvais bien faire ? Revêtir mon costume de Fantômette et faire un scandale à la préfecture de police ? Je ne suis pas sûre que la camisole de force me siée et l’hôpital psychiatrique ne figure pas sur mon « top 10 des destinations de rêve », je me suis donc résignée à envoyer ce maudit courrier, mais je peux vous dire qu’aujourd’hui encore à l’évocation de cet épisode je bous à l’intérieur.
- En juin dernier j’ai acquis dans un élevage très réputé un lévrier whippet pur race qui était soit-disant « élevé à la maison », condition sine qua none à son bon développement. Je me suis en fait retrouvée avec un chien complètement déséquilibré : extrêmement actif, avec une tendance à mordre et à sauter sur les gens, qui tirait tellement sur sa laisse que j’ai fini par développer une tendinite à l’épaule. Bref, un calvaire. J’ai dû dépenser une petite fortune pour tenter de l’aider et le remettre dans le droit chemin, et bien sûr l’éleveuse n’a jamais répondu à mes appels/mails/courriers. Quand j’ai contacté la Direction Départementale de la Protection des Populations (DDPP) de Corrèze, l’agent qui a fait une visite dans cet élevage m’a expliqué que les chiots n’étaient pas au domicile de l’éleveuse mais dans des préfabriqués de type « Algeco ». Mon chien a donc vécu les 2 premiers mois de sa vie seul avec sa fratrie dans un espace restreint, ce qui explique bon nombre de ses problèmes. Je n’ai jamais obtenu réparation de l’éleveuse, qui pourtant se targue sur son site internet de « conseiller ses clients avant, pendant et après l’adoption ». Mes chances de recours sont extrêmement minces, malgré une pratique commerciale trompeuse au sens de la législation en vigueur (publicité mensongère, si vous préférez). J’enverrais bien Batman sur place mais je n’ai pas ses coordonnées. Je suis, une fois encore, coincée, et je n’arrive pas à lâcher prise tant je trouve cela injuste.
Donc vous voyez, malgré mes 28 ans bien tassés, il m'est encore très compliqué de tolérer l'injustice. J'essaye de me raisonner, mais Dieu que c'est difficile! J'ai constaté que c'était le cas pour bon nombre d'autistes autour de moi.
Ce sens de la justice, il ne sert pas uniquement nos intérêts propres, nous l'orientons aussi vers des causes "nobles". On nous dit égocentriques, je nous trouve au contraire préoccupés par le bien commun, bien plus que ne le sont les non-autistes. J'ai le sentiment qu'eux sont plus facilement absorbés par une vision "micro" des choses, tandis que nous nous concentrons sur une vision "macro" et n'hésitons pas à faire entendre nos voix sur des questions de société qui nous tiennent à coeur, avec un dévouement tout "aspergien" (la place des femmes, l'exploitation des animaux, le racisme, le handicap pour ne citer qu'eux). A tel point que nous passons parfois pour des idéalistes...
Comment ne pas croire alors que les justiciers masqués soient autistes?! Un tel sens de la justice, ça ne trompe pas!
Sur ce, je vous laisse, je vais revêtir mon habit de lumière pour rejoindre Zorro à la Iglesia Mendoza de Jose Luis. Adiós!
* Cette observation n'engage que moi, et je parle bien d'une façon "générale". Il y a bien sûr des neurotypiques qui se soucient eux aussi de faire évoluer notre société, fort heureusement.