Qui n’a pas rêvé de tout plaquer pour aller élever des chèvres dans le Larzac ?? Après un bac+5 en école de commerce, 6 mois de chômage, et un an d’activité professionnelle foireuse, j’ai
commencé à sérieusement remettre en question mon orientation. Je n’aime rien dans le monde de l’entreprise tel qu’il existe aujourd’hui, je n’aime ni:
- sa mentalité.
Exemple n°1) Big boss à une collègue « Je te préviens, si tu refuses encore une fois d’écrire une lettre à l’encontre de M. X, j’en tirerai les conclusions qui s’imposent. Tu es soit avec
nous soit contre nous ». M. X est l’ancien DRH qui a été licencié du jour au lendemain et a traîné la Grande Entreprise devant les Prud’hommes. Big boss a donc fait des pieds et des
mains pour obtenir des déclarations mensongères de la part des salariés encore en place pour alimenter son dossier. Ma collègue, qui a d’abord résisté, a été dans l’obligation de céder, la mort
dans l’âme. S’asseoir sur ses valeurs, au profit de personnes que l’on exècre, c’est dur pour l’estime de soi.
Exemple n°2) Une collègue s’est vue confier à la responsable RH, dans un moment de faiblesse amèrement regretté par la suite, qu’elle avait des soucis avec l’un de ses enfants. Le lendemain
matin, Big boss au moment de la saluer lui sort avec un regard lourd de sous-entendus « Ça va ? Tes enfants vont bien ? » - « Euh oui oui merci ». Dans cette boîte, la RH n’est
pas un contre-pouvoir à la direction, ce qui devrait être le cas en théorie, mais au contraire une extension de son pouvoir. Ce sont ses yeux et ses oreilles, et elle prend un malin plaisir à
tout lui raconter en détail. Alors elle se met tous les salariés à dos, mais who cares ? Le boss, lui, l’adore. C’est bien ça le principal.
- sa culture.
Exemple n°1) Mini boss (le frère de Big boss) à une collègue lors de l’entretien annuel « Ah non mais attends on ne peut pas te passer cadre, tu ne travailles pas assez d’heures, comment je
pourrais le justifier vis-à-vis de ceux qui font 70h par semaine ? » Cette collègue en question fait tout de même des semaines de minimum 50 heures, a un bac+7 en droit, et est extrêmement
compétente. Mais voilà c’est une femme (et le monde de la promotion immobilière est tout de même très macho), et elle ne fait pas assez d’heures supplémentaires non payées. Ce raisonnement est
affligeant. Dans les pays scandinaves notamment, il est mal vu de travailler trop d’heures, car cela signifie que vous n’êtes pas assez productif et que vous avez un problème d’organisation.
Personnellement je pencherais plutôt pour cette explication, car il est facile de rester tard le soir, d’envoyer des mails à 23h, de se balader dans les couloirs un dossier sous le bras en
répétant à qui veut l’entendre qu’on est dé-bor-dé ! J’ai été confrontée à ce même problème dans cette boîte. Des heures supplémentaires, j’en ai fait, quand elles se justifiaient. Mais je
rentrais systématiquement chez moi entre midi et deux (oui j’estime qu’en arrivant à 8h du matin et en repartant à 19h pour un salaire de 1400 euros net par mois et un statut non cadre, je
pouvais me permettre un break le midi) et Manager avait trouvé le moyen de me dire « Je pense que ça serait bien pour ton intégration dans l’équipe que tu manges ici entre midi et deux, avec
les autres ». Ce à quoi j’avais répondu, avec un grand sourire «Mon intégration dans l’équipe se passe très bien. Ma pause du midi, c’est ma vie privée, j’y tiens beaucoup. Et il est
important de savoir souffler ». Inutile de préciser que mon attitude quelque peu rebelle n’a pas joué en ma faveur. Mon travail était bien fait, j’étais toujours en avance sur mes deadlines,
j’avais d’excellentes relations avec toute l’équipe, mais je ne rentrais pas dans le « moule », je n’étais pas assez « corporate ». Autrement dit, pas assez malléable, pas assez ouverte au lavage
de cerveau.
Exemple n°2) Cette entreprise, très influencée par la culture anglo-saxonne, organise systématiquement tous les ans un séminaire de quelques jours en début d’été, et une soirée au restaurant pour
fêter noël. Et évidemment, le tutoiement est de rigueur. Pourquoi pas, me direz-vous. Sauf que ça brouille les frontières, et une telle proximité, en plus d’être malsaine, n’est pas du goût de
tout le monde. Certains n’ont simplement pas envie de quitter leur famille 4 jours pour aller faire du jet ski et voir leur patron se biturer la gueule le soir venu. « Ah mais c’est très
important pour l’esprit d’équipe ». D’ailleurs on appelle ça le « team building ». Moui. Le concept a beau être enrobé par une dénomination à consonance american, et donc de fait
bien plus sexy, la pilule a tout de même du mal à passer, mon cher Brandon. Les collègues avec lesquels j’ai envie de créer des liens, je n’attends pas le dîner de noël pour me taper une tranche
de rire avec eux. Et faire du jet ski avec ses boss, moi ça ne renforce pas mon esprit d’équipe, ça me donne des envies de meurtre. Jet ski = perso. Boss = pro. Ces deux mondes devraient être
clairement séparés ! Car si vous pensez que Manager (ou « N+1 » pour faire bien) et Big boss sont vos amis, vous vous fourrez le doigt dans l’œil, eux vous considèrent bien comme des salariés, et
ne feront pas de sentiments quand il sera question de vous refuser une augmentation ou de vous licencier. L’affect n’a rien à faire au boulot, il faut le mettre de côté et éviter à tout prix de
trop « donner ». Car l’entreprise, elle, n’est pas par définition dans une logique de don mais de rentabilité.
- sa délicatesse
Exemple n°1) Big boss me convoque dans son bureau. « Pépette, tu veux bien fermer la porte ? » Aïe. Qu’est-ce-que j’ai fait. « Bon on est très contents de toi mais il faut que je te
parle de quelque chose. Il faudrait que tu changes ta façon de t’habiller. Quand je te vois dans les couloirs, on dirait une étudiante. D’ailleurs on en parlait lundi dernier en réunion. Je pense
vraiment que pour ta crédibilité, ça serait mieux. » Deux remarques se télescopent dans ma tête « Alors voilà la teneur de leur sacro-sainte réunion du lundi, sacré découverte ! » et «
Mince, moi qui pensais que mes efforts vestimentaires étaient couronnés de succès ». Je me suis sentie rougir jusqu’aux oreilles, mais je ne me suis pas dégonflée : « Oui, mais ça coûte de
l’argent tout de même ! ». « Oh non, aujourd’hui il y a moyen de bien s’habiller pour pas cher ». Rappel : 1400 euros net/mois, un loyer à payer, de la nourriture à acheter (oui, c’est
mieux), une voiture dans laquelle il faut mettre de l’essence… ça va vite. J’ai simplement dit « Quand je le pourrai je ferai le nécessaire ». Je n’ai pas changé ma façon de m’habiller
d’un iota (même si j’ai rangé mes Converse au fond du placard) non pas par simple esprit de contradiction mais pour trois raisons bien précises :
- J’estime qu’un uniforme jean brut-pull classique est plus qu’acceptable en entreprise. Surtout dans une entreprise qui se veut « d’jeuns » et dont la moyenne d’âge ne dépasse pas 35 ans.
- Il n’est pas nécessaire d’être habillée comme Laurence Parisot quand on passe ses journées derrière son écran d’ordinateur et qu’on n’est jamais en « représentation ».
- Quoique je fasse, j’ai l’air d’une adolescente. J’aurais beau me mettre un tailleur et me maquiller outrageusement, je n’aurai pas l’air d’une adulte mais d’une adolescente déguisée en adulte,
là est toute la nuance. Alors au contraire, je me trouve plus crédible en jean !
Exemple n°2) Big boss, très énervé, à une collègue qui est tombée enceinte peu de temps après la fin de sa période d’essai « Je suis censé te féliciter ? Vraiment on est très déçus, je ne
m’attendais pas à ça venant de toi, d’autant qu’on avait un contrat moral et qu’on t’avait demandé de ne pas tomber enceinte pendant au moins un an ». Pardon ??? Heureusement, elle s’est
bien défendue. Il s’avère que c’est une jeune femme qui a eu de gros problèmes pour concevoir, elle suivait un traitement très lourd au CHU depuis plusieurs mois, qu’elle lui a expliqué en long
en large et en travers. Elle a fini son explication par cette petite phrase assassine : « C’est honteux que j’en sois réduite à te raconter mes problèmes personnels pour justifier ma
grossesse ». J’aurais adoré voir sa tête, il paraît qu’il était tout gêné et a même fini par bredouiller un mot d’excuses.
Exemple n°3) Big boss, à moi, alors que Manager vient de lui dire qu’il doit rentrer chez lui car sa fille est malade « Ils font chier ces divorcés, ils ne sont pas capables de gérer leurs
mômes ». Classe. Et véridique.
Des anecdotes comme celles-ci, j’en aurais des dizaines, et je ne crois pas que l’entreprise dans laquelle j’ai passé 9 mois soit un cas isolé. Les personnes qui gravitent autour de moi sont dans
des milieux assez différents : étude notariale, agence immobilière, cabinet de conseil, cabinet de recrutement etc. Ils ont tous le sentiment que leur entreprise marche sur la tête et n’a aucune
considération pour les salariés qui ne sont, en fin de compte, qu’une variable d’ajustement.
C’est désespérant, quand on a passé 5 ans en école de commerce, qui soi-disant est la voie royale pour obtenir un bon job bien payé dans une bonne entreprise, de se rendre compte que la réalité
est toute autre. Et vu le contexte, les choses ne sont pas prêtes de s’améliorer…
Une démission et un bilan de compétences plus tard, me voilà décidée à me reconvertir : je vais devenir psychologue. Je vais enfin retrouver du sens dans ma vie professionnelle, travailler pour
moi, et me sentir utile !
En Converse, naturellement.