Certains d’entre vous l’auront sans doute déjà compris : mon dernier intérêt obsessionnel en date est … (roulement de tambours) : le syndrome d’asperger ! Yeaaaaah ! Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ! Donc, ces derniers temps, je vis SA, je bois SA, je dors SA, je lis SA, je visionne SA, je respire SA.
J’ai une chance inouïe car certains d’entre vous, via ce blog, me contactent pour me raconter une tranche de vie, me faire part de leurs doutes et de leurs interrogations ?, partager leur réflexion au détour d’un point virgule ; ou un cri de COLERE en majuscules, libérer une (souffrance) étouffée par deux parenthèses, nuancer une « émotion » grâce à la magie des guillemets, et ce, avec une intimité habilement créée par trois tout petits points de suspension... Je ne vous en remercierai jamais assez. Vos témoignages me touchent, me portent, et m’incitent à poursuivre mes recherches. Aujourd’hui, il est donc naturel que je me sente investie d’une mission : celle de faire connaître ce syndrome et de bousculer les idées reçues !
C’est ce pourquoi j’ai décidé récemment d’entrer en contact avec le directeur de la licence de la fac de psycho dans laquelle j’ai repris mes études, afin de lui demander s’il serait d’accord pour que je fasse une présentation en amphi sur le syndrome d’asperger. Je peux vous dire que 5 min avant notre rendez-vous je n’en menais pas large ! Mais heureusement, comme tout bon asperger qui se respecte, j’avais répété mon discours une bonne centaine de fois dans ma tête, ce qui m’a permis de ne pas trop balbutier malgré la pression. Je lui ai expliqué que je voulais sensibiliser les étudiants à ce syndrome et les mettre en garde contre les erreurs de diagnostic, avec une présentation « punchy » et « fun », dans la mesure du possible. Il a été très chaleureux, a trouvé l’idée intéressante, m’a donné son feu vert pour intervenir lors d’un de ses cours au second semestre et m’a proposé de revenir vers lui pour que nous validions ensemble ma présentation. Il m’a également suggéré de contacter deux responsables du master qui pourraient être eux aussi intéressés par ma démarche, ce que j’ai fait. Je n’aurais pas pu rêver mieux, en ressortant de ce rendez-vous, j’étais sur mon petit nuage ! Merci, merci, merci !
J’ai donc rencontré peu de temps après les responsables du master, pour leur présenter ce même projet. Et là… patatras. On ne m’a pas fermé la porte au nez, loin de là, mais on m’a proposé de passer par la fenêtre, de nuit, et avec un collant sur la tête. Ils trouvaient mon projet intéressant, sauf qu’ils n’étaient pas très à l’aise à l’idée que je me présente en tant qu’autiste asperger… Si je reprends leurs propos, en gros, ça donnait ça : « Pour vous préserver, il ne vaudrait mieux pas que vous vous présentiez en tant que patiente, car cela brouille les pistes pour les étudiants et vous risqueriez d'être montrée du doigt et étiquetée. Surtout si votre objectif c’est d’aller jusqu’au master. D’autant qu’on n’est pas aux Etats-Unis ou au Canada (sous-entendu : là-bas, ils sont plus ouverts d’esprit). Il vaudrait mieux envisager de venir par le biais d'une association et de présenter le syndrome en tant que bénévole par exemple. »
« Vous devriez d’ailleurs faire un travail sur vous pour dissocier les choses. » Pour faire court, de leur point de vue de psychologue clinicien, mon intervention n’est pas déontologiquement possible si je ne prends pas soin de travestir ma véritable identité.
Portée par mon enthousiasme initial, je n’ai pas pipé mot, et ai continué de sourire en disant « Oui, je comprends votre point de vue ». Je suis un peu gourde, il me faut en général une bonne quinzaine de minutes (au calme, sinon c’est plus long) pour qu’une information ou un évènement inattendu trouve son chemin jusqu’à mon cerveau. Et il faut dire que leur réaction, je ne m’y attendais pas, mais alors pas du tout.
Je vous fais grâce de la cerise sur le gâteau (vous remarquerez cette sublime prétérition, je serais presque prête à me lancer en politique) : « Mais si vous n’êtes pas diagnostiquée par le CRA, alors… vous n’êtes pas diagnostiquée ! ». Gloups, un peu plus et je m’étranglais avec ma propre salive. Je leur ai répondu (car cette question, je m’y attendais) que le Dr Tuffreau était un spécialiste, qu’un rendez-vous avait été pris au CRA sur mon initiative mais qu’il n’était pas impossible que je passe entre les mailles du filet puisque les tests ADOS et ADI utilisés ne permettent de détecter que 30% des autistes aspergers et ne sont pas du tout adaptés aux aspergirls (dixit Tony Attwood, THE specialist, le Dieu des aspergers, et australien de surcroît. L’homme parfait, quoi. - Pardon, je m’égare -.) Et je me suis empressée de préciser qu’un refus du CRA ne m’empêcherait pas d’être intimement convaincue d’être une aspergirl.
Et toc. Et ploc. Et tu peux ravaler ton froc.
Bizarrement, ils n’ont pas l’air d’avoir adhéré à mon petit discours, pourtant empreint d’une inspiration toute aspergienne.
Quinze minutes plus tard, dans ma voiture, je commençais à reprendre mes esprits. J’étais remontée comme un coucou. Voilà ce que je me dis avec le recul nécessaire :
1°) C'est tout de même triste de considérer que des étudiants en psycho, qui justement sont sensés être doués de bienveillance et d’empathie, pourraient me "montrer du doigt"! Je crois que c’est une bonne « cible » et que ce sont les mieux placés pour recevoir ce que nous aspies aurions à leur expliquer.
2°) Je ne suis pas une "patiente", il n'y a rien à guérir chez moi, rien à disséquer, rien à décortiquer.
3°) Me dire que je risque d'être étiquetée, c'est déjà une façon de m'étiqueter!
4°) Quelle légitimité j'ai, autre que celle d'autiste asperger, pour parler du syndrome? Aucune. A part les quelques professionnels qui sont capables de parler du syndrome en France (et qui se comptent sur les doigts d’une main), j’estime que nous sommes les mieux placés, nous les aspies, pour parler du SA ! Et je pense qu’il est tout à fait riche, pour des étudiants en psychologie, d’avoir notre point de vue à nous.
5°) Je me vois mal mentir et expliquer que je viens pour représenter une association, ce qui par ailleurs biaise le message que je voulais envoyer initialement, à savoir « Voyez comme je suis sympathique, il n’y a rien à changer chez moi, j’assume ma différence, bousculons ensemble les idées reçues ! ». Et puis de toutes façons, je ne sais pas mentir, je suis sûre que je ferais au moins une bonne dizaine de boulettes.
6°) Je ne vois pas trop quel travail de dissociation j’aurais à faire. Je suis asperger ET étudiante en psycho ET salariée ET brune ET mesurant 1m72. Tout cela fait partie de moi.
7°) Je crois que les français sont plus ouverts d’esprit qu’on ne le pense, ce qui pêche par contre, c’est qu’ils vénèrent le statu quo (c’est sécurisant) et qu’ils n’ont pas de couilles. Les américains et les canadiens, eux, en ont des suffisamment big pour s’exprimer, s’afficher, et remettre en question leurs pratiques.
8°) Et puis enfiler des collants sur la tête, ça me dit moyen, ça va me faire un nez en patate et je prends le risque d’être coursée sur tout le campus par les services de l’ordre. Ca n’est pas franchement un de mes fantasmes.
Je n’en veux pas à ces messieurs, ils ont voulu me préserver, et leur intention, bien qu’un peu condescendante, est louable. Ils ont eu la gentillesse de me recevoir et de me prêter une oreille attentive, ce qui est un bon début. Leur réaction est simplement intéressante parce qu’elle est le reflet de la mentalité française qui s’empresse de dissocier les « patients » des « soignants », ou plus généralement les « sachants » (les diplômés, les professionnels, les profs) des autres (les béni-oui-oui) et qui voudrait que les principaux intéressés se fassent un peu plus discrets : « Chuuuut! Les autistes, vous faites trop de grabuge là ! Nous, on sait ce qui est bon pour vous, alors circulez, il n’y a rien à voir ! ». Les autistes et parents d'autistes sont pourtant les mieux placés pour en parler et savoir ce qui est bon pour eux ou pour leurs enfants.
J'ai parfois franchement l'impression d'être face à une mafia, qui contrôle tout, et qui impose sa loi du silence. Ne parlons même pas du lobbying des psychanalystes! Ca me fait penser au "Parrain". En plus insidieux.
Vous l'aurez compris : leur offre véreuse, ils peuvent l'avaler avec leur cigare, il n'est pas question pour moi d'y donner
suite.
Offrir l’opportunité à quelqu’un comme moi de s’exprimer sur le sujet, je trouve que c’est un grand pas en avant, une invitation à l’ouverture d’esprit, à la connaissance, à la tolérance. C’est apporter une pierre à l’édifice du changement, du renouveau.
Le refuser, c’est consolider un mur d’ignorance auquel bon nombre d’entre nous se heurtent encore et qui n’a causé que trop de souffrances.
Donc oui, je me sens investie d’une mission, et ça n’est pas prêt de s’arrêter ! Super Pépette est dans la place ! Asperger power !