Je suis intervenue récemment dans l’amphi de la fac de psycho auprès des étudiants de 3è année pour leur présenter le syndrome d'Asperger : principales caractéristiques, différences entre les hommes et les femmes, difficultés à obtenir un diagnostic… tout y est passé. J’ai ponctué cette description d’anecdotes personnelles, avec une dose d’humour et beaucoup de recul, l’idée étant de les sensibiliser à notre pain quotidien sans tomber dans le misérabilisme, et de leur démontrer que la « pratique » (ce que l’on vit et ce que l’on est) diffère de la « théorie » (description générique du syndrome).
L'intervention s’est très bien déroulée. Certes, j’ai failli m’évanouir deux ou trois fois par manque d’oxygène (quand je suis stressée, je suis essoufflée, et j’ai beaucoup de mal à parler!) mais mis à part ça, tout s'est bien passé. Les étudiants ont même rigolé à mes blagues, c’est dire ! Quelques questions intéressantes et bienveillantes ont été posées à la fin de mon intervention, auxquelles j’ai répondu avec grand plaisir :
- Qu’est-ce-qui t’a motivée à témoigner ?
L’envie de sensibiliser de futurs professionnels de la relation d’aide à une forme d’autisme méconnue, éloignée des idées préconçues que l’on peut avoir. L’envie aussi de dédramatiser, et de faire passer un message de tolérance et d’acceptation !
- Que pouvons-nous faire, nous neurotypiques, pour faciliter la communication ?
Allez droit au but quand vous parlez. (j’aurais sans doute pu développer plus, mais sur le coup j’ai manqué d’inspiration !)
- Quand vous êtes entre vous (sous-entendu entre autistes Asperger), la communication n’est-elle pas plus fluide ?
OUI, oh que oui ! Car nous sommes sur le même mode de communication.
- Où as-tu obtenu ton diagnostic ?
Pré-diagnostic chez le Dr Tuffreau à Vertou + diagnostic au Centre de Ressources Autisme de St Herblain où j’ai passé 3 jours de tests divers et variés (test de psychomotricité, test d’intelligence, test ADOS, entretien avec un éducateur spécialisé)
- N’y a-t-il pas d’importants délais d’attente au CRA ?
OUI. Cela varie d’un CRA à l’autre, mais entre la première prise de contact et la restitution du diagnostic, certains attendent plus d’un an…
- Quel est ton projet professionnel ?
Je ne sais pas encore… Soit m’orienter vers la psychologie clinique en me spécialisant dans l’autisme, soit m’orienter vers la recherche via un doctorat.
A la fin de ma présentation, l’amphi était déjà quasiment vide, j’avais fini de ramasser mes petites affaires, quand une étudiante est venue me parler.
Nous l’appellerons Justine.
Justine s’est excusée de venir me parler comme ça, de venir me « déranger ». Elle était émue, les larmes aux yeux. Moi, encore sous le choc de la décharge d'adrénaline que je venais de vivre. Justine m’a expliqué s'être reconnue dans ma description du SA au féminin. Elle m’a dit avoir fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique, avoir reçu divers diagnostics qui ne « collaient jamais vraiment ». On lui aurait parlé d’un « noyau autistique » sans lui donner plus de détails. Récemment, un diagnostic de douance a été posé : Justine, en plus d’être probablement autiste Asperger, est surdouée, ce qui complique d’autant plus les choses.
Car, voyez-vous, une femme aspie surdouée va :
1°) Compenser beaucoup mieux ses difficultés grâce à ses facultés cognitives. Elle mettra en place des stratégies d’adaptation très efficaces pour passer inaperçue : l’illusion est parfaite.
2°) Présenter des problèmes d’hypersensorialité, d’hypersensibilité ainsi que des difficultés à établir des liens sociaux, ce que le diagnostic de « douance » explique parfaitement (bon nombre de surdoués font effectivement face à ces difficultés). Il occulte donc le diagnostic d’autisme, alors que l’un n’empêche pas l’autre. C’est en quelque sorte l’arbre qui cache la forêt.
Justine m’a expliqué avoir connu des épisodes anorexiques : rien de surprenant, Tony Attwood estime entre 18% et 23% le nombre d’adolescentes anorexiques qui présenteraient des caractéristiques du SA*. Elle s’est documentée sur le syndrome d’Asperger mais ne s’est jamais vraiment reconnue dans les descriptions théoriques, ce qui est normal, puisque comme je l'ai expliqué dans l'article Aspergirls, ces descriptions sont issues de l’étude de cas cliniques masculins!
Bref, Justine va mal, Justine est en souffrance, et personne n’a su être à la hauteur pour poser un diagnostic correct. Je lui ai donné le numéro du Dr Tuffreau ainsi que le mien, en lui proposant de la mettre en relation avec des jeunes femmes qui, comme elle, sont autistes Asperger ET surdouées.
A ce jour, je n’ai pas eu de retour de sa part, je pense très souvent à elle. J’espère de tout cœur qu’elle va bien, et qu’elle finira par me contacter.
Justine, c’est l’histoire de vie chaotique de bon nombre de femmes Asperger qui ne sont diagnostiquées que très tard à l’âge adulte (quand elles le sont !). Justine, c’est aussi l’histoire d’Adeline, de Caroline, de Christelle, de Magali… De toutes ces femmes formidables que j’admire beaucoup et qui se sont battues (ou se battent encore) pour obtenir un diagnostic. Je pense tout particulièrement à Marie, qui s'est vue refuser un diagnostic complet au CRA par la psychiatre du Centre sous prétexte que (je cite) :
"Lors de notre entretien de plus d’une heure, il a été possible de repérer chez vous la présence des compétences socio-communicatives de bonne qualité (orientation du regard, expressions faciales en vue de communiquer, mimiques faciales et une gestuelle émotionnelle appropriées à la situation et un ajustement postural et comportemental traduisant un engagement relationnel). Votre discours utilise les aspects sociaux et pragmatiques du langage (double sens, accès à l’implicite, compréhension du sous-entendu, la présence d’expression, un usage social du langage correct). C’est la raison pour laquelle un bilan, évaluant le déficit socio-communicatif, ne parait pas justifié chez vous."
Je ne le répèterai jamais assez : on peut être autiste Asperger ET avoir une voix vivante, être capable de contact oculaire, comprendre les sous-entendus... tout cela s'apprend! Nous nous adaptons au monde qui nous entoure, au prix de nombreux efforts (et c'est bien là que le bât blesse), mais nous nous adaptons. Fort heureusement, cette psychiatre a revu sa position après qu'une amie aspie et moi-même soyons intervenues et a finalement proposé à Marie un bilan complet...
Justine, c’est aussi mon histoire, moi qui découvrais par hasard le syndrome d’asperger en juin 2012, avant d’être officiellement diagnostiquée en mars 2013, à l’âge de 28 ans !
Que d’années gâchées, que de souffrances inutiles, que de temps perdu.
Que de colère, aussi, vis-à-vis de soi-disant professionnels que ne connaissent rien au syndrome et se trompent allègrement : « phobie sociale », « trouble schizoïde », « bipolarité », « noyau autistique », tout y passe. Ne parlons même pas des psys frileux et mous du genou qui prétendent que poser un diagnostic « enferme dans une case » et « étiquette ».
Honte à eux.
Ce diagnostic, il libère, il est essentiel, il est vital. Il ouvre la porte à un mieux être et à une meilleure connaissance de soi. Depuis que mon diagnostic a été posé, je suis plus heureuse que je ne l’ai jamais été.
Je rêve qu’un jour il n’y ait plus de chemins de vie comme celui de Justine.
Je rêve que les chercheurs avancent main dans la main avec les psychologues cliniciens pour faire évoluer la description du SA.
Je rêve que les spécificités du SA au féminin soit réellement reconnues et déclinées dans les manuels de classification internationale (DSM et CIM).
Je rêve que les tests que l’on passe en France soient ENFIN adaptés au SA ("Autism-Spectrum Quotient" -Baron Cohen et collab., 2001- et "Asperger Syndrome Diagnostic Scale" -Myles, Simpson et Bock, 2000- au lieu des tests ADOS et ADI actuellement utilisés).
Je rêve qu’un jour Justine, Marie, Adeline, Christelle, Caroline et toutes les autres soient diagnostiquées, que leurs difficultés soient reconnues, et qu’elles puissent enfin faire la paix avec elles-mêmes.
En attendant… le combat continue.
Republic Commando - Pedro Vezini - Flickr
* http://insideperspectives.wordpress.com/personal-habits/eating/eating-disorders/
Rajout au 7 août 2013 : Marie, dont je parle dans cet article, a finalement obtenu son diagnostic en juin 2013, auprès d'un psychiatre réputé dans le monde de l'autisme...