Les signaux étaient là pourtant. Discrets, mais bien présents. Je me réveillais le matin en étant plus fatiguée que la veille, les mâchoires crispées et douloureuses. Je ne disais pas « je suis fatiguée », mais « je suis épuisée ». Les soucis s’accumulaient, l’anxiété et le stress aussi. Le week-end, la simple idée de devoir me mettre à faire le ménage me donnait envie de pleurer. Je n’avais simplement plus la force.
Samedi dernier, quand le réveil s’est mis à sonner, immédiatement j’ai fondu en larmes. Je ne savais pas comment j’allais réussir à passer la journée, où j’allais bien pouvoir puiser l’énergie. Et comme tous les autres matins, je me suis levée, et j’ai fait ce qu’il y avait à faire. Avec une énergie et un enthousiasme décuplés. C’est paradoxal mais c’est ainsi. Sans doute ce qu’on appelle « l’énergie du désespoir ».
La journée est passée. Et dimanche, au réveil, après une grasse matinée (la seule de la semaine), j’ai senti que quelque chose ne tournait pas rond. J’avais des vertiges et les jambes en coton. Mon cœur battait la chamade. Etre debout me coûtait énormément. Je n’avais même pas assez d’énergie pour regarder la télévision. J’ai mangé, et je me suis recouchée. J’ai passé la journée à dormir.
Le soir venu, je me suis levée pour aller aux toilettes. Dans la salle de bains, j’ai senti que mon corps ne me répondait plus. J’ai commencé à paniquer, je pleurais, je tremblais. Et mes jambes m’ont lâchée. Je me suis effondrée. J’étais bien consciente mais mon corps était aux abonnés absents. Mon ami m’a relevée. Je n’étais plus qu’un poids mort, qu’il a traîné comme il a pu jusqu’au lit. Je me souviens que j’ai pris grand soin de garder les yeux fermés. Je n’arrivais pas à les ouvrir, et je n’en avais pas non plus très envie. Les ouvrir, c’était rejoindre un peu le monde extérieur, et l’affronter. Là au moins, je pouvais me reposer, rester bien au chaud à l’intérieur de moi, pour ne pas me perdre. Surtout, garder les yeux fermés.
En attendant le médecin, j’étais au fond du gouffre, mais j’étais soulagée aussi. Dans cet état, je n’avais plus à me soucier de rien. Personne, pas même moi, mon pire ennemi, n’était en droit d’attendre quoi que ce soit de ma part. Car si j’avais été dans un état « normal », j’aurais du sortir le chien, donner à manger aux chats, changer leur eau, préparer à manger, faire le ménage, ranger, et commencer une nouvelle semaine. Je ne me suis même pas inquiétée de savoir qui allait gérer à ma place. Je me suis simplement dit que moi, je n’avais pas à le faire. Ne rien faire, ne rien savoir, ne rien demander, ne pas s’en inquiéter. Juste, garder les yeux fermés. Et lâcher prise.
Le médecin a diagnostiqué une crise de spasmophilie, il m’a donné un calmant et m’a arrêtée pendant deux semaines. Depuis, je récupère doucement. Dès que je suis un peu trop fatiguée ou un peu trop nerveuse, je ressens comme une pointe douloureuse dans mon cœur qui se met à battre la chamade. Je marche 5 min et je suis essoufflée comme si j’avais couru le marathon de New York. Je n’ai plus aucune énergie. C’est assez dur à vivre, surtout quand on a l’habitude d’être actif. Un point positif : j’ai commencé la sophrologie. J’apprends à inspirer, à expirer, à me reconnecter à mon corps et à mon diaphragme (si si c’est possible, la dame l’a dit). Et je profite de ces 15 jours pour repenser ma vie.
Car il y a des leçons à tirer de tout cela. Rien n’arrive par hasard.
Leçon n°1) Il faut que je devienne ma propre priorité et que j’arrête d’absorber les problèmes des autres. Mon père est stressé au boulot ? Hop, j’absorbe son stress, et je suis moi-même dans un état proche de la syncope. Mon ami est angoissé par sa charge de travail, broie du noir ? Hop, je m’approprie tellement ses problèmes que je les vis avec lui, pour lui. Ma meilleure amie me raconte sa rupture au téléphone ? Hop, je me mets à pleurer comme une madeleine. Je suis incapable de prendre de la distance. Je suis une éponge. Appelez-moi Bob.
Leçon n°2) J’ai également pris l’habitude depuis quelques temps de m’occuper des autres comme j’aimerais que l’on s’occupe de moi. Comme si l’univers allait envoyer un puissant message subliminal à mes proches : « Eh dis donc, tu as vu Pépette comme elle se donne du mal pour tout le monde ? Ça serait bien de s’occuper un peu d’elle, non ? Ça lui ferait du bien, tu crois pas ? » C’est malsain. On ne peut donner en attendant un retour, c’est mettre trop de pression sur le dos des autres et s’installer dans une spirale d’échec et de déception. Mais pour l’instant je ne peux m’en empêcher, car je ressens ce besoin viscéral de retourner à un état Enfant, où les autres s’occupent de vous, où vous n’avez plus à être le leader. Leader de votre vie, leader de votre boulot, leader de votre couple, leader de votre reconversion, leader de votre bonheur et de celui des autres. Je suis un leader hyperactif. Appelez-moi Nicolas.
Leçon n°3) Je dois apprendre à prendre du recul, à lâcher du lest, et à déculpabiliser. Je suis extrêmement exigeante avec moi-même et avec mon quotidien : tout doit être propre, bien rangé, et notre alimentation doit être saine. Je me sens mal quand ça n’est pas le cas, et d’un autre côté ces tâches m’horripilent, et ce qui m’horripile encore plus ce sont toutes les questions qu’elles génèrent et que je suis la seule à me poser. Que va-t-on manger ce soir ? A quelle heure je vais faire mes courses ? Il faut vite que je lance la machine de draps pour qu’ils soient propres à temps et que je puisse lancer la machine de blanc pour la semaine. Est-ce-qu’il reste du pain pour demain matin ? Allez vite vite, il faut passer un coup d’aspirateur. Mince, les vitres sont dégoûtantes, quand est-ce-que je vais avoir le temps de les faire ? Ah oui, et je dois aller acheter les croquettes du chat, mais avant il faut que je passe récupérer ma voiture chez le garagiste. Je vais en profiter pour descendre la poubelle parce que ça fait deux jours qu’elle déborde.
Toutes ces micro tâches inintéressantes polluent mon quotidien et m’isolent. Je me surprends à en vouloir à ma moitié de ne pas s’en préoccuper, mais est-ce-que je ne devrais pas plutôt prendre exemple sur lui ?
Tout ne peut pas être parfait. Oui, les chats ça met des poils partout, non, on ne peut décemment pas passer l’aspirateur dix fois par jour. Oui, il faut manger 5 fruits et légumes par jour, et non ça n’est pas toujours possible (d’autant que les fraises Tagada, ça ne compte pas). Oui, il faut faire du sport, et non, ça ne doit pas être une corvée. Oui, c’est à moi que revient, en tant que femme, la tenue de la maison, et non, je ne suis pas d’accord. Je suis une desperate housewive. Appelez-moi Lynette.
Vous l’aurez compris, la clé pour moi, c’est prendre du recul. Car il y a bien des femmes qui ont une tripotée d’enfants, un travail très prenant, un mari peu aidant, du stress par-dessus la tête, et qui s’en sortent. Comment se fait-il alors que moi, qui suis très loin de ce cas de figure, j’en sois arrivée là ?
Il faut re-la-ti-vi-ser.
Et inspirer, expirer, inspirer, expirer…